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Budget de la justice : magistrats, avocats et greffiers attaquent l’État

C’est une première. Des magistrats, des greffiers et des avocats, réunis au sein de l’association des Défenseurs de la Justice (ADJ), ont assigné l’État en justice devant le tribunal judiciaire de Lyon pour “faute lourde”.

Le but : obliger l’État à s’auto-allouer un budget de 9,6 milliards d’euros, calculé sur la base de ce qui se pratique en Allemagne, aux Pays-Bas et en Suède, soit “143 € par habitant contre 77 € par habitant pour la France (selon une étude de la Commission européenne de 2019)”

Comme il s’agit de juristes, ces derniers n’ont pas oublié d’assortir leur demande d’une astreinte dissuasive de “10 millions d’euros par semestre de retard”.

L’ADJ réclame que l’État “évalue correctement ses besoins”.

“La Cour des comptes a établi, en 2018, que l’évaluation de l’activité de la justice ne repose pas sur des critères objectifs”, déplore Me Sofia Soula-Michal, avocate à Lyon et présidente de l’ADJ : “Le besoin en greffiers et magistrats est calibré en fonction d’un nombre d’affaires moyen dans la juridiction, sans tenir compte du stock d’affaires restant à traiter pour l’année”. Conclusion : “Les budgets alloués le sont donc à l’aveugle”.

Pas étonnant, dès lors, que “le service public de la justice ne puisse plus fonctionner correctement au service des justiciables, malgré le dévouement de ses acteurs”, dénonce Véronique Drahi, représentante du Syndicat de la magistrature, et membre de l’ADJ à ce titre. “Les magistrats croulent sous les piles de dossiers, travaillant soirs et week-ends, et les greffiers font toujours plus avec toujours moins de moyens”, ajoute la juge lyonnaise.

“Effectifs insuffisants, rémunérations rachitiques, logiciels dysfonctionnant : ce triptyque entraîne l’épuisement de tous les professionnels de justice”, abonde Gaëlle Grossi, greffière (représentante CGT) à Lyon, également membre de l’association.

“Institution judiciaire en voie de clochardisation”

Si le garde des Sceaux en fonction en 2016 parlait lui-même d’une “institution judiciaire en voie de clochardisation”, le gouvernement actuel a toutefois annoncé en cette rentrée un “budget sans précédent” de + 8% (8,1 milliards d’euros) pour 2021.

“Attention ! Voter un budget ne signifie pas libérer les fonds correspondants, comme on l’a vu l’an dernier !”, tempère Me Sofia Soula-Michal.

Conséquence de ce manque de moyens : les délais de justice enflent. “À Lyon, il faut attendre 3 ans pour obtenir un arrêt en matière prud’homale, mais l’État, malgré de multiples condamnations pour des délais de justice inacceptables, n’a jamais pris les mesures suffisantes.”

Et puis, comme on a imaginé diminuer les dépenses médicales en limitant le nombre de médecins, le découragement des justiciables est institutionnalisé pour désengorger les tribunaux. Pièges procéduraux édictés par la loi et intérêt pour agir rogné par la jurisprudence sont autant de chausse-trappes pour vider le contentieux.

Quant au montant de l’aide juridictionnelle, famélique au regard d’autres pays européens, il “impose un quasi-bénévolat aux avocats”, se désole la présidente de l’ADJ. Reste désormais à savoir en combien de temps cette affaire inédite sera jugée…


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